Au sommaire de cette page :
1 – Les premiers degrés Écossais
2 – Le Rite de Perfection
3 – Du Rite de Perfection au Rite Écossais Ancien et Accepté (RÉAA)
4 – De la Grande Loge de France au Grand Orient de France
- 4.1 – La Grande Loge de France sous la pression des hauts grades
- 4.2 – Le Grand Orient de France remplace la Grande Loge de France
1 – Les premiers degrés Écossais
Les historiens de la Franc-Maçonnerie ont des interprétations parfois différentes sur les origines de la Franc-Maçonnerie en France. Selon Paul Naudon, on ne peut exclure une influence originelle des milieux stuartistes réfugiés à Saint-Germain-en-Laye à la fin du XVIIème siècle ainsi que celle des nombreux Écossais installés en France, notamment dans l’entourage des Rois de France, depuis Jeanne d’Arc. Cette interprétation n’est pas partagée par Etienne Gout qui affirme[1], après avoir procédé aux vérifications les plus approfondies, qu’il n’y a pas eu de loges de régiments ni en Irlande ni ailleurs avant 1732 : il n’y en avait donc point à Saint-Germain en 1691. Toujours selon Etienne Gout, la Freemasonry n’a pris son essor dans la noblesse catholique d’Irlande qu’à partir de 1723 ou 1724, époque où fut fondée à Dublin une Grande Loge à l’instar de celle de Londres établie en 1717, travaillant comme elle sous les libérales constitutions d’Anderson. Et ce sont quelques officiers Irlandais ayant reçu dans leur pays la lumière maçonnique, qui, venant servir dans des régiments Irlandais de France, ont fondé en 1726 à Paris, rue des Boucheries, près de Saint-Germain-des-Prés, à l’enseigne du Louis d’argent, la première loge non opérative attestée dans le Royaume de France. Celle-ci devait être officiellement constituée par la Grande Loge d’Angleterre le 3 avril 1732, puis participer à la création de la Grande Loge de France.
C’est bien en France, sous le gouvernement débonnaire de Louis de Bourbon-Condé, comte de Clermont, Grand Maître des Loges de France de 1743 à 1771, que vont éclore, partout en France, les sublimes degrés de l’Écossisme, qui tire son nom du premier en date d’entre eux, le Maître Écossais, cité dans le vingtième et dernier article des Ordonnances adoptées à l’occasion de l’installation du comte de Clermont à la Saint-Jean d’hiver 1743. Tout indique, selon le T.Ill.F. Etienne Gout[2], que ce grade de Maître Écossais viendrait d’Angleterre et ne serait autre que le Scot Master ou Scotch Mason attesté dix ans plus tôt dans plusieurs loges travaillant toutes sous les auspices de la Grande Loge d’Angleterre. Les loges de Maître Écossais vont se développer dans toute la France ainsi que des Mères Loges Écossaises qui délivreront les patentes constitutives. Ainsi peut-on citer la Respectable Loge des Élus Parfaits[3], fondée à Bordeaux en 1745 par Etienne Morin, première Mère Loge Écossaise ayant laissé dans l’histoire des traces incontestables et ayant pour premier Grand Maître Lamolère de Feuillas.
Qu’est-ce qu’une Loge Écossaise dans la terminologie du milieu du XVIIIe siècle ? C’est tout simplement ce que nous appelons aujourd’hui une loge de perfection, ou un atelier supérieur. Ses membres doivent aussi faire partie d’une loge symbolique (dite anglaise par certains à l’époque, par référence à son origine) et y avoir tenu un des trois premiers offices. Ils relèvent de la Grande Loge de France pour les degrés symboliques et de la Mère Loge Écossaise pour les « sublimes degrés ». Les Loges Écossaises sont uniques dans chaque ville du Royaume de France. Les offices sont annuels. Puis de nouveaux grades de création française apparaissent en divers Orients du Royaume de France. On y développe les thèmes bibliques de la construction du Premier et du Second Temple. Ainsi naissent les thèmes des grades d’Élus, ou de vengeance, d’Architecte et d’Intendant des Bâtiments.
En 1750, à Paris, six degrés intermédiaires sont venus s’intercaler entre le Maître « ordinaire » et le Maître Écossais qui s’est transformé en Grand Écossais ou encore à Bordeaux[4] et aux Antilles en Grand Élu Parfait, ancien Maître Écossais. Dix degrés y sont pratiqués, probablement d’origine parisienne[5] : Apprenti, Compagnon, Maître, Maître Secret, Maître Parfait, Secrétaire ou Maître par curiosité, Prévôt et Juge ou Maître Irlandais, Intendant des Bâtiments ou Maître Anglais, Maître Elu, Maître Elu Parfait ou Grand Ecossais. Celle-ci va créer des Loges filles à Paris (1746), au Cap Français (Saint Domingue, 1749), à Marseille (1749), à Toulouse (1750), à Saint Pierre de la Martinique (1750), à Saint Marc (Saint Domingue, 1753), à La Nouvelle Orléans (1757).
Simultanément s’était répandue en France, depuis 1736-37 avec le Discours de Ramsay, l’idée d’une maçonnerie renouvelée par la Chevalerie. Les multiples éditions de « L’histoire des Francs-Maçons » du Frère de la Tierce contribuèrent largement à diffuser l’information. Elle allait inspirer la naissance de nouveaux grades chevaleresques, notamment celui de Chevalier d’Orient ou de l’Épée (1748-1750 ?). Avec lui, on quitte la maçonnerie de métier pour entrer dans un cycle chevaleresque. Autrement dit une « Maçonnerie renouvelée ». Le Chevalier d’Orient est Prince de la maçonnerie. Il ne se préoccupe pas des Loges bleues mais il gère les grades ultérieurs. Puis, suivant la même inspiration les grades d’élus s’enrichissent d’un Parfait et Illustre Chevalier Elu, voire même de grades dont le caractère chevaleresque n’est pas avéré comme le Chevalier du Soleil, et plus tard le Chevalier de l’Aigle, Rose-Croix ou Parfait Maçon.
A l’aube des années 1760, les dirigeants de la Grande Loge de France recherchent et apprécient les sublimes degrés écossais, sur lesquels cependant l’Obédience symbolique n’a aucun pouvoir. Le Grand Maître de Clermont a en effet structuré la Franc-maçonnerie française en trois chambres, disposant chacune de statuts modèles et d’une autonomie fonctionnelle : Symbolique, Maître Ecossais, Chevalier d’Orient. L’Écossisme français qui culmine au grade de Chevalier d’Orient paraît stabilisé et certains vont en profiter pour multiplier abusivement les grades. Parmi eux, vont apparaître ceux de Chevalier du Soleil, Chevalier Rose-Croix et Chevalier Kadosch dès son apparition en 1761[6]. Ce foisonnement, réalisé en plein siècle des lumières, va contribuer à enrichir la maçonnerie et à intégrer au cœur de l’Écossisme les fondements de sa Tradition.
Au printemps 1761, Clermont désigne Antoine Chaillon de Jonville en qualité de Substitut général de l’Ordre. L’un des premiers actes de ce dernier est de délivrer le 27 août 1761 à Etienne Morin (1717-1771) la fameuse patente dont on ne connaît aujourd’hui que des copies tardives. Celle-ci l’autorisait notamment « à établir dans toutes les parties du Nouveau Monde la Parfaite et Sublime Maçonnerie », à « admettre et constituer » les frères qu’il en jugerait dignes « aux Sublimes Grades de la Haute Perfection qu’il lui était donné plein et entier pouvoir de multiplier », enfin à « créer des Inspecteurs en tous lieux où les Sublimes Grades ne sont pas établis ». Il ressort du texte, parfaitement cohérent, de la patente Morin, qu’elle lui était délivrée conjointement par la Grande Loge et par un Grand Conseil de hauts grades, présidé lui aussi par Chaillon de Jonville. Selon plusieurs historiens et en particulier Etienne Gout, ce Grand Conseil serait celui de Grand Inspecteur, Grand Élu, Chevalier Kadosch.
2 – Le Rite de Perfection
Etienne Morin quitte Paris à l’automne 1761. Après un voyage de quatorze mois, il rejoint Saint Domingue (Saint-Marc) le 20 janvier 1763 via Bordeaux, Londres et Kingston (île de la Jamaïque). Lors de ce voyage, il a été habilité par le Grand Maître d’Angleterre à propager les hauts grades dans les dépendances de la couronne, donc en particulier à la Jamaïque, colonie Anglaise depuis 1670. Là, il va, avec son secrétaire et collaborateur Henri Andrew Franken (1720-1795) composer et propager un système maçonnique en 25 degrés à partir de l’Ancienne Maîtrise et des autres rituels dont ils disposaient[7]. Quand Franken se rend à New-York fin 1766, le Rite d’Etienne Morin n’est pas encore le Rite de Perfection[8]. Il ne comprend que les 14 degrés de l’ « Ancienne Maîtrise » et les 2 premiers degrés de la « Maçonnerie renouvelée », c’est-à-dire Chevalier d’Orient et Prince de Jérusalem. Il profite de son séjour à New-York pour implanter ce Rite en 16 degrés sur le sol américain. Les minutes de l’Ineffable et Sublime Grande Loge de Perfection d’Albany du 7 octobre 1767 en témoignent. Lorsqu’il rentre à Kingston, au début de l’année 1769, il va avec Etienne Morin exploiter les rituels d’origine française de ce dernier. Ils vont faire en sorte d’ouvrir aux Frères de religion juive le grade de Chevalier Rose-croix, par des modifications minimes. Ils vont également ordonner les autres grades d’origine française, Chevalier d’Orient et d’Occident, Sublime Maçon, Vénérable Grand Maître de toutes les Loges, Chevalier Prussien, Royal Hache, Chevalier du Soleil, et Chevalier Kadosch. Ils vont finalement ordonner tous ces grades dans un Rite, dit Rite de Perfection dont la clef de voûte est le nouveau grade de Prince du Royal Secret. Guérillot et Prinsen[9] supposent qu’ils ont rédigé le cahier de ce dernier grade à ce moment là, compte tenu notamment de la condamnation en France du grade de Kadosch[10] suite à son évolution « Templière ».
Le Grand Chapitre de Prince du Royal Secret est constitué à Kingston, le 30 avril 1770. Il est présidé par l’Honorable Frère et Prince William Wynter. Le procès-verbal de constitution, rédigé en anglais, est signé « Stephen Morin, Grand Inspecteur Général, Souverain Prince de la Maçonnerie etc, etc, etc. ». Morin et Franken consacreront le reste de leur vie à diffuser ce « Rite de Perfection » et à nommer des « Députés Inspecteurs » ayant chacun une responsabilité territoriale. Ce rite est doté de Constitutions et règlements depuis le 22 septembre 1762, dont l’origine est loin d’être établie. Ils seront complétés, plus tard, par les Grandes Constitutions de 1786, signées par Frédéric II, Roi de Prusse, « dans l’objet d’assembler et de réunir en un seul corps de Maçonnerie tous les Rites du Régime écossais. »
3 – Du Rite de Perfection au Rite Écossais Ancien et Accepté (RÉAA)
Les premiers éléments du Rite de Perfection ont été introduits en Amérique du nord par Franken en 1767. Puis à partir de 1770, le Rite de Perfection en 25 degrés, dirigé depuis Kingston en territoire Anglais, va se diffuser rapidement par l’intermédiaire des Députés Inspecteurs dont le nombre va croître de manière excessive. La Déclaration d’indépendance, votée par le congrès à Philadelphie le 4 juillet 1776, conduit à une guerre qui durera sept ans, jusqu’en 1783. Les Frères de Charleston sont plutôt du côté des insurgés.
En 1789, Alexandre François Auguste de Grasse-Tilly (1765-1845), officier français, fils de l’amiral de Grasse, débarque au Cap-Français (Saint-Domingue) pour recueillir l’héritage de son père. Il rencontre puis fréquente les Frères de la Loge de Perfection Saint-Jean de Jérusalem Ecossaise, sur laquelle sont souchés[11] les Conseils de Chevaliers d’Orient, de Princes de Jérusalem et semble-t-il de Princes du Royal Secret. Mais sur l’île, la colère gronde chez les esclaves, qui finissent par se révolter en août 1791. Grasse-Tilly est contraint avec sa jeune épouse, son fils nouveau né et son beau-père Jean-Baptiste Delahogue (1744-1822) à quitter l’île le 8 juillet 1793 pour Charleston ou ils arrivent le 14 août 1793 après s’être fait complètement dépouillés de leurs biens par des corsaires. Les Américains n’ont pas oublié l’Amiral de Grasse qui s’était illustré pendant la guerre d’indépendance et son fils Auguste de Grasse-Tilly ne pouvait qu’être bien accueilli à Charleston. Là, celui-ci consacre beaucoup de temps à la Franc-Maçonnerie. Il rencontre John Mitchell, Frédérick Dalcho, Isaac Auld, Barend Spitzer, Moses Cohen, Himann Isaac Long et bien d’autres. Tous ces frères pratiquent le Rite de Perfection. Ils décident en janvier 1797 de constituer un Consistoire des Princes du Royal Secret pour coiffer le Grand Conseil des Princes de Jérusalem installé depuis le 20 février 1788 sous l’autorité des Députés Inspecteurs Américains. Mais Kingston réagit violemment et finit par imposer son autorité.
C’est la fécondation du Rite de Perfection avec la tradition anglaise des Anciens et avec certains grades écossais pratiqués à l’époque en France et transmis en Amérique via les îles qui donnera naissance au Rite Écossais Ancien et Accepté (R.É.A.A.) en 33 degrés. C’est en Caroline du sud et tout spécialement à Charleston, vieux foyer maçonnique, que va en effet s’opérer entre 1798 et 1801 la métamorphose du Rite de Perfection en Rite Écossais Ancien et Accepté, par addition de huit degrés supplémentaires[12]. Puis sera constitué le 31 mai 1801 par les Frères John Mitchell et Frédérick Dalcho[13] qui élevèrent au 33e degré son troisième membre, le Suprême Conseil du 33e degré pour les Etats-Unis d’Amérique, premier Suprême Conseil du monde avec à sa tête John Mitchell, K.H. – P.R.S. – S.G.I.G[14]. du 33e et Grand Commandeur des Etats-Unis d’Amérique.
S’agissant du Très Illustre Frère John Mitchell, 33e, une énigme n’a toujours pas été résolue : qui a l’a consacré au 33e degré ? La question a, certes, été souvent posée sans recevoir de réponse satisfaisante, à l’exception de celle qui est proposée dans l’excellente analyse de Jean-Pierre Lassalle, publiée dans Renaissance Traditionnelle[15]. Dans cet article très complet, Jean-Pierre Lassalle examine tour à tour plusieurs hypothèses :
- Origine américaine, ou la source Mitchell,
- Grasse-Tilly, ou l’illusion rétrospective,
- Origine germanique,
- Origine scandinave, liée à la précédente,
- Origine française.
Sa conclusion est claire : il retient l’hypothèse allemande, avec les réserves d’usage. Sa démonstration le pousse en effet à penser que l’origine des textes des rituels du 33e ainsi que le grade lui-même, étaient pour l’essentiel germanique. Ils véhiculent de manière assez brutale, bien qu’indirecte le mythe illusoire qui a amené la Stricte Observance Templière de recouvrer la matérialité des anciennes commanderies templières dévolues à l’Ordre de Saint Jean. Tout est lié affirme Jean-Pierre Lassalle : les Constitutions de 1786 et le 33e. Il y a bien ainsi un « bloc » de deux documents majeurs transmis à Mitchell par un Prussien ayant vécu au cœur de cette aventure qui n’eut, probablement, pas de lendemain durable en Prusse même.
A Charleston, c’est le 21 février 1802 que le nombre total des Souverains Grands Inspecteurs Généraux sera complété à neuf membres, comme le rapporte le Livre d’or de de Grasse-Tilly et conformément aux Grandes Constitutions. En effet le texte contient (pp.112-113), de la main de Dalcho, signé de lui-même et de John Mitchell, la liste des neuf premiers membres du Suprême Conseil des Etats-Unis. Parmi ceux-ci, Auguste de Grasse et Jean-Baptiste-Marie Delahogue. Voici la transcription d’une copie déposée à la BNF[16] dans le cadre d’un volumineux manuscrit intitulé « Filiation des pouvoirs accordés à Stephen Morin » :
Souvereign Grand Inspectors General
Members of the Supreme Council of the 33rd Degree
In the United States of America
Colonel John Mitchell
Doctor Frederick Dalcho
Abraham Alexander
Emanuel De La Motta
Major Thomas B. Bowen
Israel De Lieben
Augustus De Grasse
Jean B. M. Delahogue
Thereby certify that the above is truly copied
from the register of the Supreme Council
in the United States of America
John Mitchell K.H.-P.R.S Fredk Dalcho K.H.-P.R.S
Souvereign Grand Inspector Genl Souvereign Grand Inspector Genl
and Grand Commandeur in the and Lieutenant Grand Commandeur
United United States of America in the United States of America
Le comte Alexandre François Auguste de Grasse, marquis de Tilly, des comtes de Provence et des Princes d’Antibes (1765-1845) qui était déjà 33e, reçut une patente et fut nommé le même jour par le Suprême Conseil des Etats-Unis d’Amérique Grand Commandeur ad vitam des Iles Françaises des Indes Occidentales, avec Delahogue en qualité de Lieutenant Grand Commandeur.
De Grasse Tilly et Delahogue seront rapidement remplacés par Moses C. Levy et le Dr. James Moultrie par suite de leur départ au printemps 1802 vers Saint Domingue et avant leur retour en France. On se demande à cet égard pourquoi Albert Pike aurait occulté la présence de de Grasse et de Delahogue parmi les neuf premiers membres du Suprême Conseil des Etats-Unis d’Amérique en page 191 de son ouvrage publié en 1872[17] en les remplaçant d’emblée par Moses C. Levy et James Moultrie ? Question d’interprétation probablement car dans le même ouvrage en page 132 on trouve l’explication suivante : « The Supreme Council at Charleston was opened, (Circular of Dec. 4, 1802) on the 31st of May, 1801, by the Bros\ John Mitchell and Frederick Dalcho ; and in the course of the year 1802 the whole number (nine) of Grand Inspectors General was completed. These were, Col. John Mitchell, Dr. Frederick Dalcho, Emanuel de la Motta, Abraham Alexander, Major Thos. Bartholomew Bowen, Israel de Lieben, Dr. Isaac Auld, Moses C. Levy and James Moultrie. The Bro\ Comte de Grasse was a member, before and on the 21st of February, 1802, on which day his patent was issued, certifying that fact, and that he was Grand Commender for life of the French West India Islands ; and ceased about that time to be a member, by removing from the United States to Santo Domingo. »
Le « registre Bideaud[18] » précise la première composition du Suprême Conseil du 33e grade des Gds. Insprs. Généraux établi aux Isles françaises de l’Amérique du vent et sous le vent, le 21e jour du 2e mois de l’année maçonnique 1802 :
- Aldre\ Fois\ Aug\ de Grasse Très Puissant Souverain Grand Commandeur
- Jn\ Bte\ Marie Delahogue T\Ill\ Lt\ du Souvin\ Gd Commandeur
- Bero T\Ill\ Trésorier du St\ Empire
- Jn\ Louis Michel Dalet T\Ill\ Secrétaire du St\ Empire
- Armand Caignet T\Ill\Gd\ Mtre\ des Cérémonies
- ………………………… T\Ill\Capne\ des Gardes
- Pierre Gervais Nas\ Toutain T\Ill\ Souvin\ Gd\ Ir\ Général
- Antoine Bideaud T\Ill\ Souvin\ Gd\ Ir\ Général
- ………………………… T\Ill\ Souvin\ Gd\ Ir\ Général
Grasse-Tilly quitte Charleston pour revenir à Saint Domingue, est fait prisonnier dans un pays en situation de guerre, est libéré et rejoint sa famille à Charleston avant de rentrer en France où il débarque à Bordeaux le 29 juin 1804.
2.4 – De la Grande Loge de France au Grand Orient de France
2.4.1 – La Grande Loge de France sous la pression des hauts grades
Pendant que le Rite de Perfection, ou Rite du Royal Secret, se diffusait et se développait de l’autre côté de l’atlantique, dans les îles et sur la côte Est des Etats-Unis, la Grande Loge de France vivait des moments difficiles et devait faire face à un développement incontrôlé des Hauts Grades, notamment Écossais, que Gaston Martin a qualifié d’« inextricable fouillis écossais »[19] : si la maçonnerie bleue demeure simple, malgré la scission en deux obédiences, dit-il, dès qu’on aborde l’Écossisme, c’est un fouillis, où l’historien doit avouer son impuissance. […] Parmi les obédiences que nous avons nommées dans la première partie, trois surtout méritent d’être retenues : la Grande Loge de Clermont, les Directoires écossais et la Loge de Saint-Jean d’Écosse du Contrat Social, Mère-Loge écossaise de France. De son côté, près de 90 ans plus tôt, Clavel rapporte[20] que vers le milieu du XVIIIème siècle, en France et particulièrement à Paris, différentes autorités maçonniques qui se prétendaient dépositaires de connaissances supérieures, s’attribuaient une suprématie sur la maçonnerie bleue. C’était le cas par exemple des Chapitres Irlandais, le Chapitre d’Arras, le Chapitre de Clermont, le Conseil des Empereurs d’Orient et d’Occident, la Mère Loge écossaise de Marseille, etc… Toutes ces autorités empiétaient sur les droits de la Grande Loge de France et entravaient ses travaux dans une période où les substituts du Grand Maître qu’il s’agisse du banquier Baure, puis du maître à danser Lacorne, faisaient preuve d’une incompétence reconnue qui entraîna des conflits au sein de l’organisation. La révocation de Lacorne au profit de Chaillon de Jonville, au printemps 1761, permit un rapprochement provisoire des deux factions en conflit au sein de la Grande Loge. Rapprochement insuffisant puisque les élections triennales du 22 juin 1765 aboutirent à un remplacement de tous les officiers de la faction Lacorne. Ils protestèrent puis se séparèrent de la Grande Loge, avant qu’un arrêté du 15 mai 1766 les expulse en les déclarants déchus de tous leurs droits maçonniques. En réaction, ils semèrent un tel désordre à la fête de l’ordre du 4 février 1767 que le lieutenant de police, instruit des incidents, interdit les réunions de la Grande Loge. Les dissidents profitèrent de cette situation inhabituelle pour tenir des assemblées clandestines dans un local du Faubourg Saint-Antoine, sous le titre usurpé de « Grande Loge de France », et délivrèrent des constitutions à des Loges de Paris et de province.
Cette situation dura jusqu’au 28 février 1770 qui vit une réunion de la « légitime » Grande Loge, malgré l’interdiction toujours confirmée de l’autorité policière. La participation fut très limitée, la majorité des Frères ayant refusé d’assister, et aucune délibération ne fut prise.
L’année suivante, suite à la mort du Grand Maître, le comte de Clermont, le 16 juin 1771, les mêmes dissidents de la Grande Loge profitèrent de la situation et sollicitèrent immédiatement l’intervention du duc de Luxembourg pour qu’il obtienne du duc de Chartres l’acceptation de la Grande maîtrise de la maçonnerie française. Le prince leur fit remettre son acceptation écrite et choisit le duc de Luxembourg en qualité de substitut. Une assemblée générale fut convoquée pour le 24 juin à laquelle furent conviés les Frères des deux Grandes Loges, la légitime et l’illégitime. Différents conflits furent réglés à cette occasion et les présidents des divers Chapitres de hauts grades, toujours en conflit avec la Grande Loge (légitime), demandèrent à être reconnus et offrirent de nommer le duc de Chartres, Grand Maître général des hauts grades « afin qu’il n’y ait plus qu’un seul chef pour la maçonnerie françaises ». Le duc de Luxembourg appuya cette demande. L’assemblée décréta la reconnaissance des corps dissidents et proclama le duc de Chartres Souverain Grand Maître de tous Conseils, Chapitres et Loges écossaises de France.
2.4.2 – Le Grand Orient de France remplace la Grande Loge de France
Le 24 décembre 1771, une nouvelle assemblée déclara que l’ancienne Grande Loge de France avait cessé d’exister ; qu’elle était remplacée par une nouvelle Grande-Loge qui prendrait le titre de Grand Orient de France ; que ce Grand Orient serait formé par les grands-officiers et par les vénérables ou par les députés élus de toutes les Loges ; que ce corps ne reconnaitrait désormais pour vénérable que le maître élevé à cette dignité par le choix libre de ses Frères ; que tous les officiers des Loges, sans en excepter le vénérable, seraient renouvelés chaque année, au moyen d’une élection à laquelle prendraient part tous les membres, et qu’ils ne pourraient remplir les mêmes fonctions plus de trois ans consécutifs ; que le Grand-Orient serait divisé en trois chambres ; une chambre d’administration, une chambre de Paris, et une chambre des provinces ; et qu’une Loge de conseil connaitrait des appels des décisions de ces trois chambres. Les anciens vénérables « inamovibles » étaient, certes, mécontents, mais la nouvelle organisation était globalement considérée comme un progrès.
Jusqu’alors, le Grand-Orient n’avait rallié à lui qu’un petit nombre de Loges, la majorité étant restées attachée à la Grande Loge de France. Cette dernière qui n’avait toujours pas baissé les bras, se réunit le 17 juin 1773 et après une délibération mouvementée déclara le nouveau corps, sous le titre de Grand-Orient, « subreptice, schismatique et factieux ». Le Grand-Orient, insensible à ces qualificatifs poursuivit la préparation de son organisation en vue de son installation officielle qui eut lieu le 24 juin 1773.
Dès le début de son existence, le Grand Orient de France s’était appliqué à rallier à lui toutes les autorités maçonniques indépendantes qui s’étaient formées en France à diverses époques et y constituaient des Loges et des Chapitres de hauts grades.
A Paris, la Loge du Contrat Social, Mère-Loge Écossaise de France, qui s’était rangée sous l’autorité du Grand Orient lors de l’établissement de ce corps, demanda à ce dernier d’être reconnue comme Mère-Loge du Rite Écossais Philosophique, et face à son refus y renonça dans ses relations officielles avec le Grand Orient mais le conserva dans ses rapports avec les Loges de son régime.
S’agissant des anciens Conseil des Empereurs d’Orient et d’Occident et Conseil des Chevaliers d’Orient, ou de ce qui en restait, ils avaient contribué à former à Paris un Chapitre de hauts grades intitulé « Grand Chapitre Général de France ». Des négociations étaient ouvertes avec le Grand Orient de France en vue d’une union, mais la suprématie que s’attribuait ce Chapitre sur tous les ateliers des hauts grades en France fut immédiatement contestée par le Frère Gerbier, président d’un Chapitre de Rose-Croix qui lui aussi revendiquait cette suprématie. Le Grand-Orient, réunit à lui les deux Chapitres, contribuant ainsi à affaiblir la Grande Loge de France, sa rivale, suite à la défection de celle-ci des membres du Grand Chapitre Général de France qui appartenaient tous à des Loges de sa constitution. Suite à cet événement et à ses conséquences pour la Grande Loge de France, « le découragement s’empara de cette dernière et elle se traîna languissante jusqu’à l’époque de la révolution française, où, comme le Grand Orient de France, elle fut obligée des suspendre ses travaux. »[21]
C’est dans cette période de quasi sommeil que le Grand-Maitre du Grand-Orient démissionna de ses fonctions maçonniques : « Comme je ne connais pas la manière dont le Grand-Orient est composé et que d’ailleurs, je pense qu’il ne doit y avoir aucun mystère ni aucune assemblée secrète dans une république, surtout au commencement de son établissement, je ne veux plus me mêler en rien du Grand-Orient, ni des assemblées des franc-maçons. »[22]
C’est le Frère Roëttiers de Montaleau qui s’occupa de reconstituer la maçonnerie française. Le Grand-Orient reprit ses travaux, d’anciennes Loges se réveillèrent et des nouvelles Loges furent constituées. La grande–maitrise était vacante, le Frère Roëttiers de Montaleau la refusa et se contenta du titre de Grand-Vénérable, déclarant qu’il se démettrait de ses fonctions aussitôt qu’il serait possible de placer à la tête de l’Ordre un homme plus capable qu’il ne l’était de l’honorer et de le protéger. Suivant l’exemple du Grand-Orient, les autres autorités maçonniques reprirent également leurs travaux, y compris l’ancienne Grande Loge de France et les Chapitres de hauts grades écossais. Le Frère Roëttiers de Montaleau s’empressa d’ouvrir des négociations avec la Grande Loge dans le but d’opérer une fusion avec le Grand-Orient. La commission mise en place rédigea le 21 mai 1799 un traité d’union, dont la clause essentielle était l’abolition de l’inamovibilité des vénérables de Loges. La réunion des deux pouvoirs et du Grand Chapitre général fut scellée le 28 juin, dans une assemblée générale regroupant trois-cents maçons. Mais il demeurait toujours quelques puissances rivales telles que la Mère-Loge du Rite Écossais Philosophique[23], la Mère-Loge de Marseille, le Chapitre du Rite Primitif de Narbonne, la Loge provinciale de Hérédom de Kilwinning, et quelques Chapitre isolés, débris encore subsistant de l’ancien Conseil des Empereurs d’Orient et d’Occident, qui n’avaient pas adhéré à la réunion du Grand-Chapitre général. Toutes ces autorités et les ateliers de leur ressort refusaient de se rallier au Grand-Orient et lui contestaient sa suprématie. En réaction, le Grand-Orient prit un arrêté en novembre 1802 qui déclarait ces associations irrégulières et défendait aux Loges de sa Juridiction de leur donner asile et de communiquer avec elles, sous peine d’être rayées des tableaux. Plusieurs Loges ne tinrent aucun compte de cet arrêté. L’une d’entre elles, la Réunion des étrangers, fut exclue, en 1803, de la correspondance du Grand-Orient, pour s’être fait constituer au Rite Écossais par la Mère-Loge de Marseille. Le désordre existant fut encore amplifié lorsque le Frère Hacquet rapporta d’Amérique le rite de perfection (Écossais) et le fit adopter par plusieurs Loges.
Le Grand-Orient, inquiet des progrès de l’Écossisme, le combattit par tous les moyens en son pouvoir et le chassa des locaux maçonniques parisiens. Alors, les Loges Écossaises louèrent un souterrain dépendant d’une maison autrefois occupée par le restaurateur Mauduit, boulevard Poissonnière, pour y tenir leurs assemblées. C’est à cette époque que le Comte Auguste de Grasse, Marquis de Tilly, arrive des Amériques avec le nouveau Rite Écossais Ancien et Accepté en 33 degrés.
Références :
[1] Etienne Gout, La genèse de l’Ecossisme Français, Ordo ab Chao N°30, p.11, Suprême Conseil de France, 2e sem. 1994
[2]ibid, p. 13
[3] Claude Guérillot et Gérard Prinsen, Ordo ab Chao N°30, p.52, Suprême Conseil de France, 2e sem. 1994
[4] Ecossais ou Elu Parfait de la Loge, Bordeaux vers 1750, Bibliothèque Universitaire de Toulouse, Latomia
[5] Michel Piquet, L’organisation des hauts-grades en France entre 1743 et 1767, Ordo ab Chao N°30, p.60, SCDF, 2e sem. 1994
[6] C’est en 1750 qu’on voit apparaitre pour la première fois le nom de Kadosch, associé au comte de la Tour-du-Pin La Charce qui serait le fondateur d’un Chapitre de Kadosch à Poitiers.
La deuxième apparition est datée de mars 1761, dans le cadre de la Loge des Parfaits Amis à l’Orient de Metz, le grade étant présenté par le Frère visiteur Jean-Baptiste Dubarailh. Mais il semble également que le Frère parisien François Le Boucher de Lenoncourt instruit également par Dubarailh aurait simultanément diffusé ce grade au sein de la Grande Loge de France qui en aurait fait le sommet de sa « Parfaite et Sublime Maçonnerie ».
[7] Claude Guérillot et Gérard Prinsen, Ordo ab Chao N°30, p.69, Suprême Conseil de France, 2e sem. 1994
[8] Certains historiens, se fondant sur les Constitutions de 1762 et sur les titres de certains signataires de la patente délivrée à Morin le 27 août 1761, affirment que ce dernier disposait alors des 25 degrés du Rite de Perfection. C’est oublier que nul n’a jamais pu mettre la main sur la patente originale et que par ailleurs on ne trouve pas de traces de la pratique du grade de Prince du Royal Secret en France depuis le départ de Morin vers Saint-Domingue en 1761 jusqu’à l’arrivée à Paris de Auguste de Grasse –Tilly en 1804.
[9]ibid p. 96
[10] Il était impensable que la clé de voute du Rite de perfection soit occupée par un grade interdit en France.
[11] ibid p. 108
[12] Il y a bien huit degrés ajoutés étant entendu que le Chevalier Kadosch occupe le 29e degré et que les trois grades 30, 31 et 32 sont rassemblés sous la dénomination de Prince du Royal Secret. Il n’y a donc à l’origine que 31 degrés réellement nommés.
[13] Grasse-Tilly aurait signé la patente de 33e degré de Frederick Dalcho le 25 mai 1801, soit 6 jours seulement avant la création du Suprême Conseil des Etats-Unis d’Amérique.
[14] K.H. (Chevalier Kadosch) – P.R.S. (Prince du Royal Secret) – S.G.I.G. (Souverain Grand Inspecteur Général).
[15] Jean-Pierre Lassalle, Les origines du 33ème grade du Rite Ecossais Ancien et Accepté, Renaissance Traditionnelle N°112, p.279-290, octobre 1997
[16] BNF FM1 285 : @Filiation des pouvoirs accordés à Stephen Morin
[17] Ancient And Accepted Scottish Rite of Freemasonry, The secret constitution of the 33d Degree, with the statutes of 1859, 1866, 1868, 1870 and 1872, of The Supreme Council for the Southern Jurisdiction, compiled by Albert Pike, New-York A.M. 5632, New edition printed by J.J. Little& Co, 5664
[18] ibid registre Antoine Bideaud, p. 89
[19] Gaston Martin, Manuel d’histoire de la Franc-Maçonnerie Française, p. 94, PUF 1929
[20] F.-T. B. Clavel, Histoire pittoresque de la Franc-Maçonnerie et des sociétés secrètes anciennes et modernes, , 2e éd., p.227, Paris, Pagnerre éditeur, 1843.
[21] F.-T. B. Clavel, Histoire pittoresque de la Franc-Maçonnerie et des sociétés secrètes anciennes et modernes, , 2e éd., p.236, Paris, Pagnerre éditeur, 1843.
[22] Ibid, p. 240
[23] Celle-ci, au travers de la Loge Saint-Alexandre d’Écosse, contribuera en 1804 à la naissance du Rite Écossais Ancien et Accepté.